Par Raphaëlle Branche
Les origines de la « Bataille d’Alger »
Ce qu’on a coutume d’appeler la « bataille d’Alger », militarisant ainsi une répression politique, a commencé en janvier 1957 quand le responsable de la 10e Division Parachutiste, le général Massu, se voit confier par le pouvoir civil de vastes pouvoirs de répression dans la ville et ses alentours.
Cette décision de recourir à des militaires pour réprimer l’action du FLN a été décidée alors que l’ONU devait entamer une session de son AG fin janvier. Session au cours de laquelle la question algérienne serait évoquée et pour laquelle le FLN comptait organiser une grève générale qui marquerait son audience de la population civile algérienne.
Or, cette audience était bien réelle : les autorités françaises en avaient de nombreux témoignages. Le FLN devenait de plus en plus offensif, sur des terrains nouveaux : plusieurs attentats aveugles organisés à Alger depuis septembre 1956 l’attestaient aussi.
Le rôle de Robert Lacoste
Ce socialiste a un rôle essentiel dans l’aggravation de la répression en Algérie. Il a été nommé par le gouvernement de Guy Mollet au printemps 1956 et a reçu le titre de ministre résidant : c’est donc un membre du gouvernement qui a en charge l’Algérie en propre, et non plus seulement le ministre de l’Intérieur.
Il accède rapidement aux arguments visant à accentuer la répression : c’est ainsi avec lui que commencent les exécutions à mort en Algérie.
Pendant le scandale sur les pratiques illégales de l’armée française qui secoue la France au printemps 1957, il défend l’armée française contre ce qu’il considère comme des insultes à son honneur. Il fait en ceci corps avec Guy Mollet et, surtout, Maurice Bourgès-Maunoury.
La chaîne de commandement
A Alger, elle est claire : le général Massu a reçu une délégation des pouvoirs civils et il a les pouvoirs militaires. Il cumule donc la quasi-totalité des pouvoirs tout en restant dans une chaîne de commandement susceptible de lui demander des comptes et à qui il peut aussi demander des pouvoirs supplémentaires (il réclame ainsi le fait que ses officiers puissent avoir le statut d’OPJ).
Sous lui, les régiments agissent selon les règles habituelles. Tout ce qui se passe en Algérie, et aussi à Alger, se passe selon les chaînes de commandement habituelles. Cependant, l’immense latitude des militaires les conduit à oublier de rendre des comptes à leurs supérieurs, notamment en ce qui concerne les arrestations de suspects dans les premiers mois de l’année et même ensuite. Parallèlement à la structure ordinaire de l’armée, existent des structures plus clandestines composées d’hommes appartenant à l’armée et payés par elle mais dont elle prétendra ignorer tout ou partie des activités : ce sont les services spéciaux classiques et aussi ceux qui sont mis en place alors : les Détachements Opérationnels de Protection (DOP).
Les dispositifs militaires mis en place
La ville est quadrillée et chaque régiment a en charge les hommes et les femmes qu’il arrête. Il peut les torturer, les garder au secret sans qu’aucune autorité n’intervienne pendant au moins plusieurs semaines. Certains suspects importants peuvent être signalés à l’échelon supérieur et pris en charge.
Les résistances parmi les autorités civiles et militaires
La question n’a pas été étudiée. On connaît essentiellement la position de Paul Teitgen qui, à la préfecture de police, se trouvait en position de devoir couvrir les illégalités des militaires. Cet ancien déporté à Dachau, énarque, remit sa démission à Robert Lacoste fin mars 1957 alors que le scandale sur les crimes de l’armée française (en 1955-1956) et la pratique de la torture à Alger (Boumendjel, Ben M’hidi) avait éclaté. Celui-ci refusa et Paul Teitgen resta en poste, tentant de protéger autant que faire se pouvait les personnes arrêtées. Protection dérisoire en réalité. En septembre, alors que la répression est considérée comme quasiment achevée et victorieuse, sa démission est acceptée.