Guerre d’Algérie. Maurice Audin, les disparitions, la torture comme système organisé de terreur
61 ans après les faits, le Président de la République, dans une déclaration remise à Josette Audin et à ses enfants Michèle et Pierre, reconnaît la responsabilité de l’État dans l’enlèvement, la torture, l’assassinat de Maurice Audin par des militaires français.
Il dénonce la responsabilité du système politique qui a institué la torture comme outil de terreur contre les combattants de l’indépendance de l’Algérie.
Il décide l’ouverture des archives et fait appel aux témoignages pour faire la vérité sur les « disparus », algériens et français.
Cette déclaration a une portée historique considérable.
Elle permet également de poursuivre la tâche indispensable du rapprochement des peuples algérien et français.
L’association Maurice Audin, qui s’est donné comme objectif la poursuite du combat mené dès 1957 par le Comité Maurice Audin, salue cet acte essentiel.
Elle adresse ses sentiments les plus affectueux à Josette Audin, Michèle et Pierre.
Elle associe à ce moment précieux la mémoire de ceux qui ont combattu inlassablement pour la vérité et contre la torture : Henri Alleg, Roland Rappaport ; les membres disparus du Comité Maurice Audin, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet, Jean Dresch, Madeleine Rebérioux, Jean Pierre Kahane, Gérard Tronel ; Nicole Dreyfus et tous les signataires disparus de Appel des douze du 31 octobre 2000.
Elle exprime sa gratitude à celles et ceux qui ont contribué à faire éclater la vérité : les historiennes/historiens, les journalistes et leurs médias, les parlementaires, les militants politiques et élu/es, les membres de l’association Maurice Audin…
Demain la Fête de l’Humanité sera l’occasion de célébrer ce moment.
Et bientôt, la réalisation, par la Ville de Paris, d’un cénotaphe Maurice Audin au cimetière du Père Lachaise contribuera à inscrire durablement cette vérité dans la mémoire nationale.
L’association appelle les collectivités (communes, départements, etc.) à attribuer le nom de Maurice Audin aux rues, places, équipements publics afin de contribuer à ce que ce système de terreur ne soit jamais reproduit.
L’association Maurice Audin poursuivra son combat pour que tous ceux, français et algériens, qui furent comme Maurice Audin, victimes de ce système politique, torturés et assassinés, soient identifiés et reconnus et que leurs corps puissent être retrouvés.
Déclaration du Président de la République sur la mort de Maurice Audin
« Ce système s’était installé sans qu’aucune modification n’ait été
apportée au Code pénal, sans que les principes de 1789 aient cessé d’être
proclamés comme les bases de l’État et sans que les gouvernements aient
cessé de dire officiellement que la torture était condamnable, même s’ils
s’en prenaient plus volontiers à ceux qui la dénonçaient qu’à ceux qui la
pratiquaient. » (Pierre Vidal-Naquet)
SYNTHESE DE LA DECLARATION
Depuis soixante et un ans, la « disparition » de Maurice Audin, jeune
mathématicien qui travaillait à l’université d’Alger et militait pour
l’indépendance algérienne, reste une zone d’ombre de l’histoire de la guerre
d’Algérie. Ceux qui, dans la lignée de Pierre Vidal-Naquet, ont enquêté sur
l’affaire – historiens, journalistes, documentaristes, etc. – ont minutieusement
recoupé les témoignages, les documents, les vraisemblances pour établir un
faisceau d’indices concordants. Leurs travaux s’accordent tous à reconnaître que
la mort de Maurice Audin a été rendue possible par un système légalement institué
qui a favorisé les disparitions et permis la torture à des fins politiques.
Le Président de la République, Emmanuel Macron, a par conséquent décidé qu’il
était temps que la Nation accomplisse un travail de vérité sur ce sujet. Il
reconnaît, au nom de la République française, que Maurice Audin a été torturé
puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son
domicile. Il reconnaît aussi que si sa mort est, en dernier ressort, le fait de
quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système légalement
institué : le système « arrestation-détention », mis en place à la faveur des
pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par voie légale aux forces armées à cette
période.
Le Président de la République souhaite que toutes les archives de l’Etat qui
concernent les disparus de la guerre d’Algérie puissent être librement consultées
et qu’une dérogation générale soit instituée en ce sens.
Enfin, le Président de la République estime que les actes de certains individus ne
sauraient peser sur la conscience de tous ceux qui n’en ont pas commis et n’y ont
pas souscrit. C’est pourquoi les personnes qui ont pu connaître les circonstances
de la mort de Maurice Audin sont appelées à s’exprimer librement afin d’apporter
leur témoignage et conforter ainsi la vérité.
2
DECLARATION
Au soir du 11 juin 1957, Maurice Audin, assistant de mathématiques à la Faculté
d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile
par des militaires. Après le déclenchement de la guerre par le Front de libération
nationale (FLN), le PCA, qui soutient la lutte indépendantiste, est dissous et ses
dirigeants sont activement recherchés. Maurice Audin fait partie de ceux qui les
aident dans la clandestinité.
Tout le monde sait alors à Alger que les hommes et les femmes arrêtés dans ces
circonstances ne reviennent pas toujours. Certains sont relâchés, d’autres sont
internés, d’autres encore sont remis à la justice, mais nombre de familles perdent
la trace d’un des leurs cette année-là dans la future capitale algérienne. Les
« disparitions », qu’on déplore du reste de tous côtés pendant le conflit, se
comptent bientôt par milliers.
Aussi, Josette Audin, restée seule avec trois jeunes enfants, retenue plusieurs jours
dans son appartement, se démène dès qu’elle le peut pour tenter de savoir où son
mari est détenu. Le commandement militaire lui livre alors ce qui allait rester pour
des décennies la version officielle : son mari s’est évadé. La réponse est
couramment faite aux familles en quête d’informations. La plainte pour
enlèvement et séquestration qu’elle dépose alors, achoppe, comme d’autres, sur
le silence ou le mensonge des témoins-clés qui font obstruction à l’enquête. Celleci
est définitivement close en 1962 par un non-lieu, en raison des décrets
d’amnistie pris à la fin de la guerre d’Algérie, qui ont mis fin à toute possibilité
de poursuite.
Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition
demeurent floues. Le récit de l’évasion qui figure dans les comptes rendus et
procès-verbaux officiels souffre de trop de contradictions et d’invraisemblances
pour être crédible. Il s’agit manifestement d’une mise en scène visant à camoufler
sa mort. Les éléments recueillis au cours de l’instruction de la plainte de Josette
Audin ou auprès de témoins indiquent en revanche avec certitude qu’il a été
torturé.
Plusieurs hypothèses ont été formulées sur la mort de Maurice Audin. L’historien
Pierre Vidal-Naquet a défendu, sur la foi d’un témoignage, que l’officier de
renseignements chargé d’interroger Maurice Audin l’avait lui-même tué. Paul
Aussaresses, et d’autres, ont affirmé qu’un commando sous ses ordres avait
exécuté le jeune mathématicien. Il est aussi possible qu’il soit décédé sous la
torture.
3
Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un
système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le
système appelé « arrestation-détention » à l’époque même, qui autorise les forces
de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout « suspect » dans l’objectif d’une lutte
plus efficace contre l’adversaire.
Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi,
votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour
rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la
délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en oeuvre par arrêté
préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957.
Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture,
que l’affaire Audin a mis en lumière. Certes, la torture n’a pas cessé d’être un
crime au regard de la loi, mais elle s’est alors développée parce qu’elle restait
impunie. Et elle restait impunie parce qu’elle était conçue comme une arme contre
le FLN, qui avait lancé l’insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient
vus comme ses alliés, militants et partisans de l’indépendance ; une arme
considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité.
En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements
successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient
les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à eux que revient la
responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu,
l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté.
Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et
lucidité.
Il en va de l’apaisement et de la sérénité de ceux qu’elle a meurtris, dont elle a
bouleversé les destins, tant en Algérie qu’en France. Une reconnaissance ne
guérira pas leurs maux. Il restera sans doute de l’irréparable en chacun mais une
reconnaissance doit pouvoir, symboliquement, délester ceux qui ploient encore
sous le poids de ce passé. C’est dans cet esprit, en tout cas, qu’elle est pensée et
aujourd’hui formulée.
Il en va aussi de l’honneur de tous les Français qui, civils ou militaires, ont
désapprouvé la torture, ne s’y sont pas livrés ou s’y sont soustraits, et qui,
aujourd’hui comme hier, refusent d’être assimilés à ceux qui l’ont instituée et
pratiquée.
Il en va de l’honneur de tous les militaires morts pour la France et plus
généralement de tous ceux qui ont perdu la vie dans ce conflit.
Il en va enfin du devoir de vérité qui incombe à la République française, laquelle
dans ce domaine comme dans d’autres, doit montrer la voie, car c’est par la vérité
seule que la réconciliation est possible et il n’est pas de liberté, d’égalité et de
fraternité sans exercice de vérité.
La République ne saurait, par conséquent, minimiser ni excuser les crimes et
atrocités commis de part et d’autre durant ce conflit. La France en porte encore
les cicatrices, parfois mal refermées.
Aussi le travail de mémoire ne s’achève-t-il pas avec cette déclaration. Cette
reconnaissance vise notamment à encourager le travail historique sur tous les
disparus de la guerre d’Algérie, français et algériens, civils et militaires.
Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels
après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous
les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.
Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés
à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité
historique.
L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure
compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre
histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples
français et algérien.