OZANNE Y *

OZANNE Yves

Enlevé dans la nuit du 27 au 28 février 1957, avec le groupe dit des « chrétiens progressistes ». Détenu à deux reprises à la villa Sésini, torturé. Lire ci-dessous sa lettre conservée par Paul Teitgen (AN, fonds Georgette Elgey, 561AP/41, « Archives confiées par Paul Teitgen »). Courrier du directeur du centre de tri de Beni Messous « déclarations de Mr Ozanne Yves » (ANOM, 91 2K 9). Voir également le témoignage transmis par sa petite-fille à 1000autres.org le 19/09/2018.

« 1er avril 1957

Monsieur le Préfet,

J’ai été arrêté dans la nuit du 27 au 28 février 1957 chez moi. Amené immédiatement à la Villa Sesini. J’ai été mis dans la Cellule n°3 où se trouvaient déjà 3 personnes. L’une des trois, un nommé Vasta était allongé dans un coin de la cellule et gémissant constamment disant, tantôt en Arabe et tantôt en Français, « je suis innocent » et « c’est injuste ». Le soldat qui m’avait mis en cellule me dit d’ailleurs « Celui là était plus grand et plus fort que moi et voilà ce que nous en avons fait ». Le lendemain, ou le surlendemain, on mettait en cellule un autre homme nommé Bensaïdane Abdelkader qui avait les mains liées derrière le dos. On attacha cet homme à des barreaux fixés dans le mur et il resta 28 heures dans cette position, avec interdiction pour nous de le nourrir et de lui donner à boire. Le 4eme jour de ma détention, Vasta donnait des signes de plus en plus nets de l’approche de la mort (il ne mangeait plus, ne buvait plus, et si par hasard il buvait, il urinait immédiatement, ce qui rendait l’atmosphère irrespirable) on vint nous chercher, on me fit passer dans la cellule n° 2 et nous pûmes voir un médecin militaire faire une piqûre à Vasta et le faire emmener sur une civière. Emmené le Mardi suivant à Beni-Messous, on me ramena le 14 mars à Sesini où je fus amené immédiatement (il était 8h 30) dans un pavillon de plaisance appelé la Cafèterie, où je fus déshabillé, on me lia les mains et les pieds et allongé sur le parterre, le bourreau nommé Feldmeyer, me plongea plusieurs fois le visage dans l’eau du bassin situé au Centre de la pièce, jusqu’à étouffement complet. Puis au bout d’un certain temps, on me mit sur le dos, et Feldmeyer, ayant une génératrice portative dans sa main, me mit 2 électrodes l’une au bout de la verge et l’autre sur différentes parties du corps (à l’oreille, au sein et à la main) me faisant passer une décharge électrique à travers tout le corps. Puis Feldmeyer me remettait sur le dos me soulevant plusieurs fois de terre et me laissant tomber part terre d’une hauteur de 60 à 70 cm environ. Les cordelettes qui me serraient les mains et les pieds, en entrant dans la chair, ont laissé des traces visibles encore aujourd’hui, J’ai d’ailleurs eu des difficultés à remuer certains doigts pendant 4 ou 5 jours. Assistaient à cette séance 2 officiers dont je ne connais pas l’identité.  Yves Ozanne »

 C’est en fait [le témoignage] de mon père Daniel Ozanne que je retranscris ici. En 1956 son oncle paternel Maurice Ozanne vivait en Algérie, précisément à Alger dans le quartier El Biar, avec son épouse et ses 4 fils, et y occupait un poste important. Son 2e fils, Yves Ozanne, né en 1924, faisait partie des jeunesses catholiques. Partisan de l’indépendance de l’Algérie, il fut le seul des quatre frères à avoir pris cette position. Dans la période dite de la « bataille d’Alger », il fut arrêté par les militaires français et torturé. Probablement « passé à la lessiveuse », torturé à l’eau bouillante. Il en réchappa et s’exilera à la Réunion où il s’installa comme urbaniste. Mes parents l’avaient choisi comme mon parrain et je n’ai rien su de tout cela jusqu’à l’an dernier où mon père a commencé à en parler… Mais je suis fière d’avoir eu pour parrain un homme qui avait pris cet engagement et, si je ne l’ai vu que trois fois je crois, je l’aimais beaucoup. Il reviendra à un moment passer huit jours en Algérie. Selon mon père, sa santé avait été très affectée par la torture et l’exil et c’est pour cette raison qu’il mourut assez jeune, quelques dix ans après ces évènements.

Abréviations des principales sources utilisées :/p>

SLNA : « Fiches de renseignement » du Service des Liaisons Nord-Africaines : « Personnes arrêtées, demandes de recherche transmises au commandement militaire », ANOM, 91/ 4 I 62.

Liste SLNA : mention sur une liste de rappels adressée à l’armée par le SLNA en octobre 1957, la fiche de renseignement correspondant n’étant pas archivée). ANOM, 91/ 4 I 62

CV : Jacques Vergès, Michel Zavrian, Maurice Courrégé, Les disparus, le cahier vert, Lausanne, La Cité, 1959.

Archives Teitgen : Archives confiées par Paul Teitgen à Georgette Elgey, Archives Nationales, 561AP/41.

SHD : divers fonds du Service Historique des Armées, GR 1 H

CS : archives des deux commissions de Sauvegarde des droits et libertés individuels (1957-1962), Archives Nationales, F/60/3124-F/60/3231.

Presse algérienne (1962-1963) : documents fournis par Malika Rahal.

1 Commentaire

  1. Yves Dorsey Répondre

    J’ai retrouvé le nom de Yves Ozanne dans le livre LE COMBAT DES JUSTES de l’auteur algérien Youcef DRIS. Une page lui est consacrée (104)où il est question de son arrestation et de sa torture par la France coloniale. . Puis-je savoir s’il est encore en vie et ce qu’il est devenu.

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